Lire l'article en ligne ici Républicain Lorrain du 30 juin 2020
Texte : Christian MOREL - Photos : Norbert MOLLICONE
La radio en continu dans les écuries, les bonbons à la Mirabelle dispensés généreusement à l’ensemble du cheptel, de la paille comme litière naturelle pour recouvrir le sol de l’étable… Christophe Noël et sa compagne, Angélique Bachelier, cultivent avec amour et passion le confort réservé à leur troupeau.
Environnement choyé, pour un élevage pourtant destiné à l’abattage. « Quoiqu’il en soit le respect des animaux reste réellement notre raison d’être. Nous les préparons, certes pour l’abattoir, mais avec une forme d’humanité qui n’a d’égale que notre ambition d’être reconnus pour la saveur de notre viande, destinée aux particuliers et aux restaurants ».
Le confinement perpétuel
Installé dans l’exploitation familiale, à Vionville, à 25 km de Metz, ce couple soudée privilégie la qualité à la productivité. « Nous gérons 150 bêtes, dans un cycle vertueux de consommation. Nous cultivons notre luzerne et notre trèfle, nous leur donnons du lin, planté riche en oméga 3 afin de nourrir sainement veaux et génisses, le foin et la paille pour tapisser l’espace dédié et nous récupérons le fumier pour le redonner au sol en guise d’engrais ».
Totale autonomie pour ces exploitants agricoles qui vivent depuis des années, en confinement perpétuel. « Nous n’avons pas, en effet, été dépaysés par les dispositions liées au Covid 19, puisqu’il s’agit pour nous, implicitement, de notre mode de vie au quotidien ».
Depuis les années 80, quand les maladies spécifiques à l’élevage sont apparues, telles la brucellose ou la fièvre aphteuse, les agriculteurs se sont organisés : « en étant très vigilant sur les phénomènes de contamination, en commençant bien sûr par une extrême prudence vis-à-vis des contacts avec l’extérieur »
Les Brouteuses de Lorraine
Depuis dix ans maintenant, Christophe et Angélique s’attellent à promouvoir les produits peaufinés au sein de la ferme des « Brouteuses de Lorraine », élevage Noël, sur 230 hectares, répartis, au deux tiers, en céréales et le tiers restant, en prairies, pour le pâturage. Exploitation à taille humaine et philosophie bien ancrée dans les sillons de leur propre terroir. « Nous ne visons nullement la quantité pour alimenter, par exemple, la grande distribution. Nous ciblons une clientèle, essentiellement constituée de particuliers avertis et de restaurateurs patentés, allant des étoilés aux bistrots ». 150 bêtes qui suffisent à faire face aux exigences de ces consommateurs triés sur le volet. « Nous abattons en fait trois génisses adultes par mois et quatre veaux dans la même période. Rythme bien étudié, entre les naissances et l’abattoir, soit 500 kg de carcasses, pour les vaches et 165 pour les veaux ». Aucune maturation de la viande fraîche. « Les acheteurs fidèles en assurant le vieillissement spécifique, en fonction de leur goût et de leurs besoins ».
Sens inné de l’excellence
Repéré pour son travail soigné et son sens inné de l’excellence, Christophe Noël a su prendre, au bon moment, son bâton de pèlerin pour présenter sa production personnelle, baptisée Ligus. Compromis judicieux, au plan de l’orthographe, entre la Limousine et l’Angus. « Il y a quelques années, je suis ainsi monté à Paris, avec ma glacière, pour faire déguster notre sélection aux plus grands étoilés ». Tour fructueux dans la Capitale, puisque Julien Dumas, le chef du prestigieux restaurant Lucas Carton, craque : « comparant, sans hésiter, notre viande au célèbre bœuf de Kobé. Encouragement qui m’a donné le courage de pousser la porte d’autres belles tables, plus particulièrement en Lorraine, comme l’Auberge Saint Walfrid à Sarreguemines, la 12e Borne à Delme ou le 4 vin 3 à Metz ».
Accueil chaleureux pour cet éleveur avant gardiste, ballotté entre l’attachement viscéral à ses ruminants bien aimés, « ils naissent tous à Vionville. Aucun achat extérieur » et son engagement bio-écologique affirmé. « Notre génération a bien intégré les effets catastrophiques de trop longues périodes marquées par l’utilisation intensive de produits chimiques. Nous devons revenir à une approche plus responsable de notre agriculture ». S’appuyant sur la réalité de son quotidien, au cœur de son troupeau, Christophe est très attentif au comportement, par exemple, des génisses au contact des arbres fruitiers. « Elles se gavent de pommes et de poires, au point d’être grisées par cette macération intestinales naturelles ».
Ce constat inattendu conduit alors Christophe à s’intéresser, de plus près à l’influence de la consommation des mirabelles sur son élevage. « Je fais ainsi confectionner, par la Confiserie Perrin implantée à Pont à Mousson, des bonbons de 20 kg, au goût du fruit d’or. Mes vaches et mes veaux les lèchent à longueur de journée. » Prise de sucre qualitative, générant un gras sain, sans avoir à passer par l’absorption démesurée d’antibiotiques. Autre exemple tangible pour cet adepte des bonnes pratiques : « la veille de la conduite à l’abattoir je fais absorber à mes bêtes de l’alcool de Mirabelle pour les détresser avec, bien évidemment, une répercussion gustative sur la tendreté de la viande. Le bœuf en Asie est bien élevé à la bière ou les vaches en Normandie au cidre, alors pourquoi pas de la mirabelle, en Lorraine, pour nos pensionnaires. » Mixant l’innovation alimentaire et le bon sens paysan Christophe Noël et Angélique Bachelier ne veulent plus déroger à ces exigences dictées par la raison. « Pas question d’augmenter le nombre de têtes. Notre développement passe en priorité par le label qualité et non par l’illusion de la quantité ».
Démarche mûrement réfléchie, avec des aménagements originaux, comme la sonorisation des écuries « Je diffuse du classique pour créer une atmosphère sereine et reposante, dans un espace où les génisses et les veaux vivent en liberté, pouvant aller et venir vers l’extérieur en toute quiétude ». Version terroir de la musique adoucit les mœurs.